
Paroles de psy
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Séance de 14 heures
Il est très agacé il s’installe dans le bureau sans retirer sa veste, c’est inhabituel. J’ai à peine le temps de placer ma phrase d’accueil qu’il répète trois fois “ce n’est pas possible!” Il raconte sa soirée d’hier avec son amie, sa soirée de rupture, c’est lui qui a décidé c’est toujours comme ça dans ses relations avec les femmes.
Il dit : “c’est toujours pareil je vous l’avais bien dit, c’est arrivé hier soir avec Louisa et ce n’est pas possible”. Il est en boucle.
Dans mon dossier j’ai écrit : le père de M. est mort d’une leucémie foudroyante peu avant sa naissance. Le grand père de M. n’a pas connu son fils conçu peu avant son accident de voiture qui lui coûta la vie. Quant à l’arrière grand père, il dut laisser sa jeune femme enceinte de sept mois pour partir à la guerre. Il fut tué dans les tranchées sur le chemin des Dames.
M. avait raison, ce n’était pas possible d’accepter de faire un enfant. Dans son histoire familiale c’était alors aussi accepter de mourir.
(séance fictionnelle de 2001)
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Monsieur A.
La première fois j’ai eu peur car je n’avais jamais tué. Il fallait pourtant que je le fasse. Nous étions au troisième jour, ma belle-mère était à mes côtés et m’encourageait. Ils étaient deux, le premier est resté silencieux mais le deuxième a crié au-delà de mon geste fatidique. Nous n’aurions pas supporté un jour de plus sans manger. Ensuite je me suis retrouvé seul sur la plage, arrivent au loin deux femmes portant un masque de chat. Elles s’approchent de moi en riant puis elles dansent autour de moi et enlèvent leurs masques. Je reconnais ma femme et ma belle-mère. A ce moment là, je me réveille et je repense à leurs chats dont j’ai ôté la vie.
(rêve fictionnel de Monsieur A. de 2008).
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Séance de 11 heures
“Il faut toujours que je lui obéisse, je ne peux pas être seul et j’en ai marre, il m’interdit de manger ce que je veux et de marcher où je veux. Quand il est avec moi dans la rue, si je prends un trottoir, il me fait traverser pour aller sur l’autre trottoir. Le pire c’est le soir dans mon lit, il me montre une heure sur le réveil et il m’interdit de m’endormir avant cette heure là. Une fois c’était minuit et dès que je commençais à m’endormir il me secouait pour me réveiller. Le lendemain matin j’ai été très fatigué à l’école et le maître m’a dit de me secouer car je ne travaillais pas bien…”
(César, 10 ans, l’enfant qui a un monstre dans la tête. Séance fictionnelle de 2000)
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PDG de la société DPY
Une séance au printemps : B dirige depuis six mois DPY , une entreprise en pointe dans la petite ville de province qui l’a vu naître. A ses quarante ans il vient de rencontrer une jeune femme très jolie. Ses deux premières épouses étaient de belles femmes du sud. B aime les latines. Il porte sa quarantaine avec charme. Sa nouvelle compagne a l’âge de son fils aîné ce qui pose quelques soucis d’adaptation. La semaine dernière, les actionnaires de l’entreprise qu’il dirige lui ont demandé d’augmenter la cadence des employés car les marchés ne sont pas bons, il faut plus de bénéfices on ne sait jamais! Cette semaine sa jeune compagne a dîné au restaurant avec son fils aîné afin de favoriser son adaptation.
Une séance en été : je reçois B qui va très mal, cela fait deux mois qu’il n’est pas venu, pas le temps de s’occuper de lui. Il raconte “je viens de me faire licencier pour manque de résultats et je dois assister samedi prochain au mariage de mon père avec mon ex compagne. Je vais mal, très mal mais je suis venu vous dire que je ne vais pas pouvoir continuer mes séances chez vous et en baissant les yeux il ajoute “Prenez-vous la carte CMU?”
En quelques mois le PDG de la société DPY, cadre dynamique au service de ses actionnaires a tout perdu même son argent. Je n’ai plus jamais revu B.
( séances fictionnelles de B. en 2013)
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Fin programmée
Séance de 17 heures : il raconte la mort de sa mère, un arrêt cardiaque. Le coeur fatigué d’une dame qui allait avoir 94 ans au printemps prochain. Elle a chuté ne s’est pas relevée, elle était morte. Il trouve près d’elle un petit carnet qui servait à écrire la liste des courses qu’elle remettait à l’aide ménagère. Sur une page vierge, au milieu du carnet, il lit “Fin : 3 janvier 2008”. La dame est morte dans la matinée de ce jour inscrit sur son petit carnet…
(séance fictionnelle du 7 janvier 2008)
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Séance de 19 heures 30
“Merci de me recevoir si tard mais je souhaite restée discrète. J’ai longtemps hésité à consulter, je voulais le faire mais je n’osais pas. Comment dire tout cela et puis c’est loin. J’ai pensé à en parler à un prêtre mais je n’en connais pas. C’est vraiment la naissance de mon petit fils l’été dernier qui m’a poussé à prendre rendez-vous. Je ne peux plus garder le secret c’est trop dur, il faut que je fasse quelque chose pour lui. C’était son arrière grand- mère tout de même!
Voilà, j’ai beaucoup souffert pendant trente ans de la cohabitation avec mes beaux parents. Nous vivions sur l’exploitation agricole, mon mari l’avait hérité. Ma belle- mère était méchante avec moi, j’étais jeune, je lui obéissais et je me plaignais auprès de mon mari qui n’a jamais rien fait. J’aimais beaucoup mon mari et c’est ce qui m’a aidé. Mes beaux- parents sont morts à six mois d’intervalle, il y a vingt ans. Ils ont voulu se faire incinérer, c’était moins cher disaient-ils. Les cendres de mon beau-père étaient chez ma belle-soeur, les parents l’avaient voulu ainsi. les cendres du père chez la fille et les cendres de la mère chez le fils.
C’était un jour d’hiver il faisait gris, la cheminée avait fait beaucoup de cendres sur le sol et plus j’aspirais, plus je pensais à ma belle-mère. Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai attrapé l’urne posée sur le buffet du salon, j’ai dispersé ma “belle-mère” devant l’aspirateur et j’ai aspiré. J’ai enlevé le sac de l’aspirateur et je l’ai jeté dans la grande poubelle devant la maison. Les éboueurs sont passés le lendemain matin très tôt. Je n’ai rien entendu, je dormais bien. Je suis contente d’être arrivée à vous le dire, vous pouvez comprendre vous.”
( séance fictionnelle de Mme C. juin 2010)